Data Privacy, IA de confiance, NLP
07/09/2023

L’IA générative dans l’art : le droit d’auteur bousculé


Auteur : Jeanne Gauthier
Temps de lecture : 10 minutes
Quantmetry.com : L’IA générative dans l’art : le droit d’auteur bousculé

À l’ère de l’intelligence artificielle générative, de nouveaux défis juridiques s’imposent, soulevant des questions fondamentales sur l’authenticité et la contribution humaine dans la création artistique. Alors que les droits d’auteur cherchent à protéger les créations intellectuelles, il est essentiel de trouver un équilibre entre la reconnaissance de la contribution de l’intelligence artificielle (ci-après “IA”) et celle de l’humain pour préserver l’intégrité du processus artistique et la juste valorisation du travail des créateurs.

Zarya of the dawn

Une illustration des limites à la protection des résultats de l’IA générative dans l’art

Pour illustrer cette problématique, évoquons la récente affaire « Zarya of the Dawn » qui représente un tournant important sur le positionnement de la jurisprudence en matière de protection de contenus générés par l’intelligence artificielle générative. Et apporte un commencement de réponse sur l’élaboration de normes de droit d’auteur, applicables à un large éventail de plateformes d’IA génératives.

Cette bande dessinée pouvant être qualifiée de « nouvelle graphique », à la spécificité de combiner une production d’IA générative et un processus créatif de son autrice. Plus précisément, les images contenues dans cette œuvre ont été générées par MidJourney1, tandis que l’histoire et la mise en forme sont le fruit de la réflexion humaine. 

Le Bureau du droit d’auteur des États-Unis (The United States Copyright Office), où Kristina Kashtanova a déposé un copyright pour sa bande dessinée « Zarya of the Dawn2 », a d’abord accordé une protection complète à l’œuvre, mais est ensuite revenu sur sa décision en ne protégeant que les parties « human-generated »

Le Bureau a conclu que « Mme Kashtanova est l’auteure du « texte de l’œuvre ainsi que de la sélection, de la coordination et de l’arrangement des éléments écrits et visuels de l’œuvre ». Cependant, comme indiqué ci-dessus, les images de l’œuvre qui ont été générées par la technologie Midjourney ne sont pas le produit de la création humaine. L’organisme s’exprime alors en ces termes : « Étant donné que l’enregistrement actuel de l’œuvre ne renonce pas à son contenu généré par Midjourney, nous avons l’intention d’annuler le certificat original délivré à Mme Kashtanova et d’en émettre un nouveau couvrant uniquement le matériel expressif qu’elle a créé ». 

Cette décision aura un impact sur la protection d’autres œuvres réalisées à l’aide d’IA générative, dans la mesure où les utilisateurs peuvent s’attendre à un traitement similaire en ce qui concerne leurs créations, bien que dans le cas du Copyright Office, celui-ci précise qu’il s’agit d’un traitement au cas par cas.

L’émergence de l’IA générative dans le monde de l’art pose des questions fondamentales qui appellent à un débat approfondi. La reconnaissance des droits d’auteur dans un contexte où les machines jouent un rôle créatif non négligeable suscite des interrogations sur l’essence même de l’œuvre et de l’auteur. Comment concilier la notion d’originalité et d’empreinte personnelle dans des contenus générés par des intelligences artificielles ? Doit-on redéfinir les critères de protection du droit d’auteur pour s’adapter à ces nouvelles créations assistées par l’IA ? Ce débat complexe invite les juristes, les créateurs, les entreprises technologiques et la société dans son ensemble à réfléchir collectivement sur la voie à suivre pour assurer une protection adéquate des œuvres générées par l’intelligence artificielle.

Introduction aux enjeux juridiques de la protection des œuvres produites par une IA générative

En France, la propriété intellectuelle se divise en deux parties : la propriété industrielle, axée sur la protection et la valorisation des inventions, des innovations et des créations, et la propriété littéraire et artistique. Dans cet article, nous nous focaliserons sur la seconde. 

Le droit d’auteur est un terme juridique qui désigne les droits conférés aux créateurs sur leurs œuvres, comme les livres, œuvres musicales, peintures, sculptures, films, programmes d’ordinateur, bases de données, créations publicitaires, cartes géographiques et dessins techniques.

Ce droit s’acquiert sans formalité, du fait même de la création de l’œuvre. Ce qui le distingue du copyright américain qui nécessite un enregistrement de l’œuvre auprès de l’Office américain du copyright. Ainsi, le droit d’auteur s’acquiert peu importe sa forme d’expression, son genre, le mérite de l’auteur ou sa destination. Autrement dit, sa forme d’expression peut être orale ou écrite, sa forme englobe toutes les catégories d’œuvres passant par le livre aux programmes d’ordinateurs, le mérite de l’auteur son génie ou son talent n’a aucune incidence, et sa destination peut prendre la forme d’une création purement artistique ou bien d’art appliqué dont la finalité est souvent commerciale.  Les auteurs peuvent ainsi s’opposer à une divulgation de l’œuvre faite sans consentement, à une utilisation qui la dénaturerait, ou encore revendiquer le crédit de celle-ci, par l’intermédiaire de leurs droits moraux. Ils possèdent également des droits patrimoniaux, qui permettent d’interdire ou d’autoriser l’utilisation de l’œuvre et de percevoir, dans ce cas, une rémunération en contrepartie. 

Tout d’abord, il convient d’introduire quelques notions essentielles. Depuis la mise à disposition au grand public, pour ne citer qu’un exemple, de ChatGPT par OpenAI, ainsi que la floppée de services intermédiaires dans tous les domaines, la pratique du droit doit s’adapter et faire face à de nouvelles questions. Et ce, particulièrement en ce qui concerne les contenus générés automatiquement par des intelligences artificielles via un prompt rédigé par les utilisateurs.

Comment caractériser l’IA générative en droit ?

En droit français, la distinction est faite entre deux types d’intelligence artificielle3 pour la création assistée par la machine. 

En premier lieu, on parle de créations dites « assistées par ordinateur » lorsque l’utilisation de la machine est supervisée par un humain, comme outil dans le processus créatif. Il faut entendre par là que le fruit du cheminement artistique de l’auteur est « indépendant » d’un logiciel. Par exemple, l’utilisation du logiciel Photoshop pour un artiste graphique sera un moyen pour lui de donner forme à sa créativité, et sera empreint de sa personnalité. En effet, le logiciel pourrait être comparé à du matériel (des pinceaux plus ou moins épais, une palette de couleur élargie, des effets visuels et autre) dont l’artiste se sert pour produire son design. 

Dans un second cas, on retrouve les créations générées « spontanément » par l’intelligence artificielle. La distinction majeure repose sur le fait que l’intervention humaine n’est pas suffisamment « déterminante » dans le processus créatif. A savoir, que la machine « remplace » l’individu dans les tâches essentielles et constitutives d’une production littéraire ou artistique. Par exemple, lorsqu’un utilisateur rédige un prompt pour générer une image sur Dall-E4, il n’a pas d’idée précise de ce à quoi ressemblera le résultat proposé par l’IA, ainsi la création résulterait du logiciel et non de l’humain. Pour la doctrine, cela reviendrait à dire que la machine est assistée par l’artiste. Dans cette hypothèse, le droit d’auteur ne sera pas applicable aux contenus générés. L’accent est mis sur le contrôle des paramètres, un même prompt sera à l’origine de plusieurs images différentes, ce qui n’est en théorie pas le cas avec un outil comme Photoshop.

Et c’est à partir d’ici que les choses se compliquent, et que les débats doctrinaux se creusent5. En effet, les détracteurs arguent que la génération automatique de contenu empêche l’artiste de véritablement donner de son essence  et exclut la notion d’empreinte de l’auteur. Tandis que certains, défendent au contraire la discipline du « prompt art6 », ou le fait de savoir « éduquer » une IA pour qu’elle produise le contenu attendu. 

L’empreinte de personnalité de l’auteur apparaît alors difficile à discerner, et conserve pour autant une place très importante en droit, et indirectement auprès du public qui cherche à donner un sens et de la profondeur à une œuvre.  La condition d’originalité avait déjà été commentée par la Cour de Justice de la Communauté Européenne dans le célèbre arrêt Infopaq7. Selon la Cour, cette condition est remplie à partir du moment où « l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs » (§89), c’est-à-dire en y insufflant sa « touche personnelle » (§92).

A qui revient la titularité des droits d’auteur ?

L’œuvre doit refléter l’individualité, la particularité et le tempérament de son créateur. Pour être titulaire des droits sur une production, il faut déterminer qui est l’auteur : qui réalise l’acte créatif ? S’agit-il de la machine ? De l’utilisateur de l’IA ? Du concepteur de l’IA ? 

Concernant la machine, la solution est exclue dans la mesure où il faut être une personne physique pour être un auteur, or la machine ne possède pas la personnalité juridique8. Quant à l’utilisateur, la doctrine semble proscrire cette possibilité car dans un sens, celui-ci est soumis au processus créatif de l’IA : il rédige un prompt et appuie sur un bouton en choisissant le résultat le plus à son goût. En revanche, le concepteur semble plus se rapprocher de la définition traditionnelle et juridique d’un auteur puisque dans un sens, sa personnalité se reflète dans la conception d’un système d’IA. 

Pour certains, la machine possèderait même son propre processus créatif, dont la base serait les données d’apprentissage, mais dont le résultat dépendrait exclusivement (partiellement ?) de la vision imposée par le créateur de l’IA. Il y aurait donc une dualité de vision et de démarche artistique lors de la génération d’image par exemple. 

Mais qu’en est-il de l’originalité de l’œuvre ? En effet, pour qu’une production puisse être protégée par le droit d’auteur, elle doit témoigner de son caractère original. Cette notion d’originalité représente un enjeu majeur, dans la mesure où une intelligence artificielle se base sur d’innombrables données pour apprendre et ainsi proposer un résultat. Or au sens strict, ces données sont des représentations mathématiques de concepts assujettis à des milliards de paramètres, que la machine appréhende pour essayer de restituer une version de l’imaginaire la plus fidèle possible et attendue par l’utilisateur. Bien que l’AI Act ait vocation à imposer aux plateformes mettant à disposition des IA à haut risque (à l’instar des LLMs) de spécifier dans leur documentation technique les données d’entraînement utilisées9, la traçabilité reste délicate à établir concernant le contenu ayant eu une incidence significative sur le contenu. En ce sens, l’originalité de la génération ou la contrefaçon reste difficile à établir.

Une crainte étant que la génération d’œuvre d’art serait rendue trop accessible et aurait tendance à dénaturer le travail humain au profit de la machine. De l’autre, l’IA générative pourrait être caractérisée comme un outil qui ne compromet pas, mais accompagne la démarche artistique de l’auteur. La meilleure façon de maintenir l’admissibilité du droit d’auteur est de saisir et de mettre en valeur, dans la mesure du possible, la contribution humaine pour témoigner de l’empreinte de l’auteur résultant de choix libres et créatifs.

Tous ces éléments sont très intéressants, mais finalement, qui possèdent des droits sur les contenus produits par l’IA génératives ? Dans la pratique, un utilisateur qui s’y reprend à plusieurs fois, en prenant soin de bien choisir ses mots clés, en établissant un style, une contrainte de couleurs et autres paramètres, a légitimement la sensation d’être auteur de sa génération. Pour autant, la réalité juridique exclut ce processus créatif comme étant à l’origine de droits d’auteur. Il en va de même pour le concepteur de l’IA, qui n’a aucune mainmise sur les productions de son algorithme. En définitive, en droit français, les œuvres générées par IA ne sont pas protégées par le droit d’auteur, et peuvent donc être reprises par tous, peu importe l’utilisation qui en est faite. 

A l’heure actuelle, les plateformes proposant de la génération « text-to-image », précisent dans les Conditions Générales d’utilisation (CGU) ce que les utilisateurs sont autorisés à faire avec leurs productions (comme la possibilité ou non d’une utilisation commerciale). Ces CGU ne sont pas pour autant représentatives des droits réels détenus par les entreprises, mais cela relève d’un autre débat.

 

Pour résumer, la création de contenu par les IA génératives soulève un grand nombre de questions, et ce, de leur élaboration à leur mise à disposition auprès du public. En effet, bien que les problématiques soient pressenties dans ce papier, nombre sont passées sous silence dans un souci de vulgarisation et de ciblage du sujet. En revanche, qu’il s’agisse de la récupération des données d’apprentissage à la proposition de licence d’exploitation par les plateformes, des questions de licéité restent en suspens. Chez Quantmetry, nous valorisons l’élaboration d’IA dans les règles de l’art, en prenant soin de garder à l’esprit les différentes caractéristiques indissociables d’une IA de confiance. Avec la responsabilité de la gouvernance de la donnée comme moteur, Quantmetry propose la production d’IA à l’état de l’art, pour délivrer de la valeur dans le respect des notions inhérentes à la mise en œuvre d’IA utiles, performantes, sécurisées et responsables.

 

Sources :

Midjourney – IA Image generation1

United States Copyright Office – Zarya of the Dawn Registration2

Intelligence artificielle et droit d’auteur – Ministère de la Culture3

Dall-E 2 – IA imagine generation4

J.-M. DELTORN, « Droit d’auteur et créations des algorithmes d’apprentissage », Propriétés intellectuelles, janvier 2016, n°585

Les droits d’auteur sont-ils menacés par l’IA générative ?6

Arrêt Infopaq – CJUE, 16 juillet 2009, C‑5/087

Pas de robots auteurs ! Citation :Franck Macrez et Jean Marc Deltorn8

Proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle9

Images :

Source illustration musée 

Source illustration “Zarya of the Dawn”


Jeanne Gauthier
Jeanne Gauthier

Stagiaire Data Protection Officer

Chez Quantmetry pour un stage de fin d'étude en Master 2 double cursus en droit du numérique et en informatique. Ma mission est d'assister le Data Protection Officer dans ses missions.

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